En physique de manière générale et en mécanique des fluides en particulier les physiciens s’intéressent souvent aux instabilités : un système physique, partant d’un état de base, dit instable, évolue spontanément vers une nouvelle configuration, plus robuste. Cette notion joue un rôle central dans tous les domaines la physique, et à toutes les échelles. Les physiciens du laboratoire MSC Grégoire le Lay et Adrian Daerr ont mis en évidence sur un simple filet d’eau en écoulement une instabilité d’un type nouveau, dite paramétrique, qui entraîne des oscillations … hypnotiques.
Dans le système que nous intéresse, c’est un mince filament de liquide (un rivelet) coulant entre deux plaques verticales disposées parallèlement (la cellule) qui se révèle être instable lorsqu’on lui fait écouter de la musique – plus rigoureusement, on dit qu’on l’excite acoustiquement. L’état de départ consiste en un filet droit, tombant verticalement sous l’effet de la pesanteur (figure, à gauche). En utilisant des hauts parleurs à droite et à gauche du rivelet, nous sommes en mesure de le faire osciller dans la direction horizontale à une fréquence choisie. L’excitation est dite homogène, c’est-à-dire que le rivelet est mû d’un seul bloc, l’effet des hauts parleurs étant le même sur toute la hauteur.
Figure 1 : Illustration de l’instabilité. Le filet initialement rectiligne (gauche) est perturbé et se met à “danser” sous l’effet du forçage acoustique (milieu). Le mouvement est la combinaison de déformations transverses et longitudinales (droite), qui se propagent à des vitesses différentes.
Mais comme on peut le voir sur la figure, contrairement à l’excitation, la réponse du rivelet varie considérablement le long de la cellule. Le liquide se met à « danser », les frontières du rivelet (en noir sur les images) ondulant selon un motif régulier. Une étude attentive nous révèle que les changements de géométrie du rivelet peuvent être décomposés en deux contributions distinctes, qui correspondent à deux ondes qui se propagent indépendamment (figure, droite). Les ondes transverses sont des modifications du chemin suivi par le fluide (comme les oscillations d’une corde d’escalade à laquelle on aurait donné une impulsion sèche)), tandis que les ondes longitudinales sont des modulations de l’épaisseur du rivelet (de la même manière que les ondes sonores sont des modulations de la densité de l’air).
Dans notre travail, publié le 6 janvier dans la revue Physical Review Letters, nous décrivons pour la première fois cette nouvelle instabilité et établissons un modèle mathématique qui la décrit. Ce phénomène est particulièrement original en raison du mécanisme physique qui sous-tend l’instabilité. Les deux ondes, transverse et longitudinale, sont couplées par l’excitation acoustique d’une manière particulière – on parle de couplage paramétrique. Cela se traduit par un mécanisme de co-amplification des deux types d’onde, qui interagissent favorablement en se renforçant mutuellement. Elles sont donc amplifiées en même temps, et l’une ne peut exister sans l’autre. Notre modèle décrit cela et donne les conditions qui permettent cette croissance mutuelle et spontanée des ondes, en particulier le fait qu’elles partagent la même périodicité spatiale, malgré le fait qu’elles se propagent à des vitesses différentes le long du rivelet (figure, milieu).
En décrivant et en expliquant cette nouvelle instabilité au mécanisme inédit, nous participons à l’avancée des connaissances en physique des instabilités et en physique des ondes. Cela nous permet de développer de nouveaux modèles et d’établir de nouvelles connaissances afin de mieux comprendre les instabilités sous toutes leurs formes, de l’étude des objets du quotidien à l’astrophysique, en passant par la physique des plasmas et celle du climat.
Citer cet article :
- Le Lay & A. Daerr, Phase-Locking Parametric Instability Coupling Longitudinal and Transverse Waves on Rivulets in a Hele-Shaw Cell, Physical Review Letters, 134, 014001 (2025)
Lien vers le site du journal : https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.134.014001
Accès gratuit à une version de travail : https://arxiv.org/abs/2501.08345
Contact :
Grégoire Le Lay, doctorant au laboratoire Matière et Systèmes Complexes (Université Paris Cité – CNRS)