L’intestin est le seul organe de notre corps doté d’une innervation quasi-autonome, le système nerveux entérique, appelé communément le « second cerveau ». Le cerveau et à la moelle épinière sont des tissus intrinsèquement mous, mis à l’abri des chocs mécaniques par le crâne et la colonne vertébrale.  A contrario, le système nerveux entérique est intégré dans une matrice élastique qui subit de grandes déformations sous l’effet de la pression du bol alimentaire et des ondes contractiles de l’intestin. Le second cerveau est-il doté de propriétés mécaniques particulières pour faire face à ces contraintes ? C’est la question à laquelle répondent aujourd’hui des chercheurs du laboratoire Matière Systèmes Complexes, de l’Institut Jacques Monod, de l’Institut Cochin et de l’Institut National de Recherche Agronomique, dans un article publié dans la revue Biophysical Journal, et qui fera la couverture de l’édition du 16 juin 2025 

Le système nerveux entérique se présente sous la forme d’un réseau de cellules nerveuses et gliales, dont les corps forment les nœuds, et les faisceaux d’axones les connections. L’ensemble du réseau est pris en sandwich entre deux couches musculaires. Les chercheurs ont dans un premier temps pelé cet ensemble nerf-muscle à l’aide de fines pinces et d’un coton-tige, pour le mettre à plat. Ils ont ensuite réalisé une cartographie à l’échelle micrométrique de ses propriétés élastiques à l’aide d’un microscope à force atomique. Cet appareil équipé d’un levier microscopique appuie de façon contrôlée en chaque point de l’échantillon pour sonder sa résistance.

« Ayant beaucoup utilisé le microscope à force atomique durant ma thèse de doctorat, et travaillant depuis 10 ans sur le système nerveux entérique, c’était moi ou personne », commente Nicolas Chevalier, chargé de recherche au CNRS, premier auteur de l’étude et « grand amateur d’andouillette ».   Les chercheurs ont tout d’abord confirmé que la sonde reproduisait la bonne topographie du système nerveux. L’élasticité du système nerveux ne différait toutefois pas du muscle (Figure 1), autour de 3-4 kPa, soit 10 fois plus que celle du cerveau !

Figure 1. Gauche : système nerveux entérique en vert (neurones) et bleu (glies) sur son lit de muscle (rouge). Droite : La topographie du ganglion nerveux (encadré en blanc) ressort clairement, mais son élasticité est la même que celle du muscle
Pour comprendre l’origine de cette grande résistance mécanique, les chercheurs ont imagé leur préparation avec une méthode d’imagerie photonique avancée, la génération de seconde harmonique. Celle-ci a révélé la présence d’un cocon de fibres de collagène entourant l’ensemble du réseau de nerfs (Figure 2), et qui pourrait être la cause de cette tenue mécanique unique. Les chercheurs envisagent désormais que les cellules gliales malléables puissent jouer un rôle dans le fluage du ganglion, pour prévenir la rupture des connections synaptiques lors d’une déformation rapide.
Figure 2. Coque de collagène (magenta) révélée par microscopie de seconde harmonique, entourant un ganglion nerveux et ses prolongements axonaux.
Référence :

The enteric nervous system is 10 times stiffer than the brain
Chevalier, N.R., Peaucelle, A., Guilbert, T., Bourdoncle, P., Xi, W.  Biophysical Journal (2025).

DOI: 10.1016/j.bpj.2025.05.010 

Contact

Dr. Nicolas Chevalier, nicolas.chevalier@u-paris.fr