Comment se fait-il qu’un aimant puisse léviter simplement en étant placé à proximité d’un autre aimant en rotation rapide ?
Récemment, une nouvelle manière de faire de la lévitation magnétique – c’est-à-dire de maintenir un objet dans les airs en utilisant les interactions magnétiques – a été découverte : un aimant tournant à une vitesse suffisante (« l’aimant tournant ») est en mesure de faire léviter un autre aimant placé à proximité (« l’aimant lévitant »). On connaissait déjà d’autres techniques permettant la lévitation magnétique : par exemple, utiliser des aimants supraconducteurs pour faire léviter un train, comme le Shinkansen au Japon, ou jouer sur la compétition entre gravité et couple gyroscopique comme dans le cas du Lévitron, un jouet populaire dans les années 90. Mais la technique qui nous intéresse a été découverte très récemment : ce n’est qu’en 2021 qu’un ingénieur, H. Ucar , a réalisé qu’un aimant (ou dipôle magnétique) tournant très rapidement créait près de lui une position stable, qui permet de maintenir en place un autre aimant. Il a proposé une explication pour ce phénomène, sans l’étayer expérimentalement [1]. Cette expérience peut être réalisée sans difficulté par des étudiants ou des amateurs, mais il est particulièrement difficile d’expliquer le comportement observé sans avoir recours à des calculs complexes ou à des simulations [2].
Lévitation magnétique. En haut, un aimant sphérique tourne à une vitesse élevée (100 tours par seconde). En dessous, des aimants de diverses géometries lévitent. Crédits: Dolbeault/Person/Roussille/Taberlet (ENS Lyon)
C’est pourquoi nous avons développé, avec des collègues de l’Université Claude-Bernard Lyon et de l’École Normale Supérieure de Lyon, un modèle minimaliste qui décrit avec précision le phénomène de lévitation magnétique en question, et met clairement en évidence les mécanismes physiques permettant la lévitation. Avec ce modèle simple, qui réduit la dynamique tridimensionnelle complexe de l’aimant lévitant à ses degrés de liberté essentiels, nous avons montré que l’aimant en lévitation est piégé par la combinaison d’une force attractive à longue portée et d’une force répulsive à courte portée. Nous avons proposé des lois d’échelle exactes, qui permettent de mieux appréhender ce phénomène. Enfin, nous avons confirmé la validité de notre modèle de manière quantitative grâce à des mesures expérimentales précises, que nous avons réalisées sur ce phénomène pour la première fois.
Figure 1 : Équilibre des couples agissant sur l’aimant lévitant. L’aimant tournant (en haut), en rotation à la fréquence f, incliné d’un angle γ par rapport à l’horizontale, impose un couple magnétique à l’aimant lévitant (en bas). Celui-ci, soumis en outre au couple gyroscopique et au couple centrifuge, se stabilise à un angle d’équilibre θ par rapport à la verticale.
Figure 2. Profil d’énergie pour un aimant situé sur l’axe de rotation de l’aimant tournant. L’aimant lévitant est pris en tenaille entre les composantes attractive (en vert) et répulsive (en rouge) de l’interaction magnétique, qui forment un puits de potentiel. Il se retrouve alors dans une position d’équilibre, qui n’est plus stable à partir d’une certaine distance à cause de la pesanteur.
Notre travail permet ainsi de comprendre le mécanisme de lévitation magnétique dans le champ magnétique produit par un aimant tournant. Les lois d’échelle que nous avons dégagées permettent en outre de caractériser la position d’équilibre de l’aimant lévitant. Cependant, certaines questions restent en suspens : dans le cadre des approximations qui permettent d’établir le modèle, nous pouvons démontrer mathématiquement que les aimants adoptent une disposition stable même en présence d’une perturbation le long de l’axe de rotation de l’aimant tournant, mais nous ne sommes pas encore en mesure d’expliquer précisément pourquoi la disposition reste stable dans le cas d’un déplacement latéral de l’aimant lévitant, même si cette stabilité est observée expérimentalement. Notre travail est ainsi appelé à servir de base à d’autres études, qui pourront s’appuyer sur notre modèle et l’élargir en prenant en compte les échelles de temps lentes (par rapport à la période de rotation) sur lesquelles reposent cette stabilité latérale
Références :
[1] H. Ucar, Polarity free magnetic repulsion and magnetic bound state, Symmetry 13, 442 (2021).
[2] J. M. Hermansen, F. L. Durhuus, C. Frandsen, M. Beleggia, C. R. Bahl, and R. Bjørk, Magnetic levitation by rotation, Phys. Rev. Appl. 20, 044036 (2023).
Lien vers l’article sur le site du journal :
https://journals.aps.org/pre/abstract/10.1103/PhysRevE.110.045003
Accès gratuit à une version de travail : https://arxiv.org/abs/2410.22096v1
Citer cet article :
- G. Le Lay, S. Layani, A. Daerr et al., Magnetic levitation in the field of a rotating dipole. Phys. Rev. E 110, 045003 (2024)
https://doi.org/10.1103/PhysRevE.110.045003
Contact :
Grégoire Le Lay, doctorant au laboratoire Matière et Systèmes Complexes (Université Paris Cité – CNRS)