En s’écoulant sur des roches solubles, l’eau peut créer dans la nature des motifs remarquables, qui présentent souvent des pointes acérées. Les coups de gouge, dépressions concaves entourées de crêtes, en sont un exemple commun. En combinant mesures de terrain, modèle numérique et expériences, nous montrons que l’apparition de ces formes résulte d’un mécanisme géométrique.

Des crêtes et des pointes sont souvent observées dans la nature lorsque des roches solubles sont dissoutes sous l’action de l’écoulement de l’eau. En particulier, on peut observer sur les parois des grottes souterraines des dépressions concaves délimitées par des crêtes acérées, qu’on appelle en spéléologie cupules ou coups de gouge. Ces formes proviennent de la dissolution du calcaire par un courant d’eau lorsque le boyau de grotte a été inondé lors de sa formation. D’après les travaux existants, la taille caractéristique de ces motifs est inversement proportionnelle à la vitesse du courant. Néanmoins, la forme caractéristique d’un creux entouré de crêtes n’est pas expliquée.

Dans cet article, nous montrons que l’apparition de coups de gouge, et notamment la présence de pointes et de crêtes, peut s’expliquer de manière géométrique. Si ce sont des mécanismes hydrodynamiques qui entraînent l’apparition d’ondulations et fixent leur taille caractéristique, c’est un mécanisme géométrique qui transforme ensuite les bosses lisses en crêtes acérées tout en élargissant les creux. Pour démontrer cela, nous proposons une approche combinée entre observation, modélisation et expérimentation sur un matériau soluble.

À gauche : motifs de coups de gouge (cavités concaves entourées de crêtes acérées) sur une paroi en calcaire de la grotte Saint-Marcel, en Ardèche. À droite : motifs de coups de gouge apparaissant sur la surface orientée vers le bas d’un bloc de sel rose immergé dans un aquarium rempli d’eau.

À partir d’une analyse quantitative d’une paroi de la Grotte Saint Marcel en Ardèche, nous prouvons d’abord que les coups de gouge peuvent s’interpréter géométriquement comme comportant des singularités, c’est-à-dire des endroits où la pente locale varie brusquement. Ensuite, des modèles d’évolution de surface de complexité croissante nous permettent d’expliquer la formation de ces singularités, et de reproduire l’émergence de crêtes délimitant les unités d’une structure cellulaire dont la taille caractéristique augmente au cours du temps. Enfin, nous réalisons une expérience de dissolution contrôlée par la convection solutale qui nous permet d’observer, sur un matériau soluble immergé dans l’eau, l’émergence d’un motif cellulaire. Ce motif est conforme aux prédictions du modèle et ressemble fortement aux coups de gouge observés dans la grotte. Pour l’expérience, nous utilisons un bloc de sel à la place du calcaire des grottes, car sa grande solubilité permet de réduire très fortement le temps d’apparition des motifs de dissolution.

Le mécanisme mis en évidence dans cet article s’applique plus généralement à tout processus d’ablation. On peut penser en particulier aux interfaces subissant une fonte, comme les parois immergées des icebergs, ou aux champs de neige en sublimation, sur lesquels des motifs semblables aux coups de gouge sont parfois observés.

Référence :

Emergence of tip singularities in dissolution patterns, PNAS, 120, 48, 2023

https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2309379120

Auteurs :
Martin Chaigne, Sylvain Courrech du Pont et Michael Berhanu, Laboratoire Matière et Systèmes
Complexes, Université Paris Cité, CNRS (UMR 7057)
Sabrina Carpy et Marion Massé, Laboratoire de Planétologie et Géosciences, Nantes Université,
CNRS (UMR 6112)
Julien Derr, Laboratoire Reproduction et Développement des Plantes, ENS de Lyon, Université de
Lyon, UCBL, INRAE, INRIA, CNRS (UMR 5667)

Contacts :
Martin Chaigne, martin.chaigne@u-paris.fr, 06.52.32.64.67
Michael Berhanu, michael.berhanu@univ-paris-diderot.fr