Comprendre les problématiques liées à la biodiversité, l’adaptation et l’évolution des écosystèmes face aux changements environnementaux est fondamental au maintien de l’équilibre planétaire. Le domaine de l’écologie théorique est ainsi en plein essor, enrichi par de nouveaux résultats expérimentaux et des techniques d’analyse toujours plus sophistiquées.
Dans une étude récente, des physiciennes et physiciens du laboratoire de physique de l’ENS de Paris (LPENS, CNRS / ENS-PSL / Sorbonne Université / Université Paris Cité) et du laboratoire Matière et Systèmes Complexes (MSC, CNRS / Université Paris Cité) ont ainsi analysé avec des techniques de physique statistique avancées la dynamique de grandes communautés écologiques, en modélisant la très grande diversité des interactions existant en leur sein par des interactions aléatoires entre espèces, et en dotant le modèle d’une structure spatiale pour rendre compte d’une hétérogénéité géographique des populations et de leurs modes d’interaction. L’approche proposée révèle un mécanisme jusqu’alors non identifié par lequel les écosystèmes peuvent maintenir leur stabilité malgré les fluctuations démographiques (dues aux processus de naissance et de mort).
Lorsque le bruit démographique est fort, l’écosystème subit une transition d’une survie à long terme, pour des espèces suffisamment mobiles pour repeupler les zones en déficit, à une extinction quand la capacité migratoire n’est plus suffisante, reproduisant ainsi le comportement observé pour une seule espèce. En revanche, avec un faible bruit démographique, les auteurs identifient une dynamique écologique très riche. La combinaison d’un grand nombre d’espèces qui interagissent de façon aléatoire et sont susceptibles de migrer permet à la méta-communauté de prospérer, même dans des conditions qui entraîneraient l’extinction d’espèces isolées. Ce mutualisme sous-jacent est intrinsèquement lié à une condition de bistabilité globale : l’écosystème peut voir ses populations osciller entre deux situations extrêmales, des états dynamiques assez délicats auxquels sont en général associés des « points de bascule ». Ces derniers sont des valeurs critiques des caractéristiques des écosystèmes, car lorsqu’ils sont franchis, ils entraînent des changements significatifs et souvent irréversibles, et peuvent conduire à une perte significative de la biodiversité.
De tels modèles théoriques robustes, soutenus par une confrontation à des données expérimentales abondantes et disponibles, constituent par leur caractère générique un socle fondamental important qui aideront à une analyse rationnelle de problèmes clés de l’écologie contemporaine tels que les mouvements migratoires, le développement de dynamiques chaotiques, observées par exemple chez le plancton et de nombreuses espèces végétales, ou la propagation des épidémies. Ces résultats sont publiés dans Physical Review X – Life et ont fait l’objet d’un article du “Monde”.
Référence
Interactions and Migration Rescuing Ecological Diversity, Giulia Garcia Lorenzana, Ada Altieri et Giulio Biroli, PRX Life, publié le 18 mars 2024.
Doi : 10.1103/PRXLife.2.013014
Archive ouverte : arXiv
Article dans “Le Monde”:
Actualité à retrouver sur le site de l’Institut CNRS Physique:
Contact MSC
Ada Altieri, Maîtresse de Conférence, Equipe Théorie, https://www.adaaltieri.com/
Figure : États dynamiques obtenus en fonction du bruit démographique (paramètre T, en abscisse) et de la capacité migratoire (en ordonnée) en l’absence de corrélation entre les communautés. Dans la zone de métastabilité, le système permet le maintien d’une importante biodiversité si elle existe initialement, mais n’est pas capable d’en créer à partir d’un étiage démographique. Cette zone d’hystérésis est la conséquence bénéfique directe d’un réseau hétérogène d’interactions et d’une capacité migratrice significative de la part des espèces. La ligne en tirets est un ensemble de « points de bascule » car le franchissement de cette ligne vers le bas venant d’un état de peuplement dans la zone métastable (par exemple par réduction de la capacité migratoire) s’accompagne d’une disparition catastrophique de la biodiversité © Ada Altieri