Auto-assemblages supra-moléculaires
Biotransformations de nanoparticules en milieu intracellulaire
Le corps humain et les cellules qui le compose peuvent être confrontés, de façon volontaire ou involontaire, à des nanoparticules d’origine naturelle ou synthétique. Cette interaction nanoparticules/cellules a fait l’objet d’un grand nombre d’études en toxicologie. Pour autant, la question du devenir des nanoparticules aux temps longs dans les cellules est toujours ouverte. Ainsi, nous nous sommes intéressés aux biotransformations (agrégation, oxydation, recristallisation) subies par différents types de nanoparticules (Or, Oxyde de Fer), utilisées dans le milieu biomédical, dans différents types de cellules animales/humaines. Un résultat fort a été obtenu durant la thèse de Alice Balfourier en considérant le cas de nanoparticules d’Or et de cellules fibroblastes humaines. Une question était de savoir comment ces particules composées d’un élément non essentiel, pour lequel aucun métabolisme spécifique n’est prévu, évoluent sur des périodes allant jusqu’à 6 mois. Nous avons d’abord mis en évidence un processus de dégradation des particules dont la dynamique dépend de la taille des particules. Nous avons ensuite révélé un processus de recristallisation des ions Or issus de la dégradation des particules sous une forme biopersistante très particulière (cf figure ci-jointe). Une analyse transcriptomique nous a permis de mettre en évidence la réponse cellulaire associée à ces processus et de proposer un mécanisme global de dégradation/recristallisation. Ce travail a eu un bon écho (publication dans PNAS, communiqué national du CNRS, nombreux highlight) car il était admis que les particules d’Or devaient demeurer intactes en milieu intracellulaire en raison de l’inertie chimique de l’or métallique.
Etude in-situ de la captation et du devenir de nanoparticules métalliques chez une plante modèle (Arabidopsis Thaliana)
Certaines plantes, dites hyper-accumulatrices, sont connues depuis au moins l’époque de la ruée vers l’or pour proliférer sur des sols riches en éléments métalliques. Aujourd’hui, plus de 400 spécimens ont été répertoriés comme capables d’accumuler des éléments de façon assez spécifiques jusqu’à quelques pour cent de leur masse sèche. Cette capacité à capter des métaux lourds, et leurs oxydes, suscite un intérêt grandissant lié à la possibilité de dépolluer les sols et les eaux de façon douce et peu coûteuse. Ces dernières années cette méthode de dépollution appelée « phyto-remédiation » a aussi été utilisée dans le cas de métaux présents dans l’environnement sous forme de nanoparticules. Sur ce thème, les études ont mené sur un grand nombre de systèmes (nanoparticules, plantes, conditions de culture, voie d’internalisation des racines ou des feuilles) et en utilisant des méthodes souvent destructives ou faiblement résolues. La grande variété d’approches ne permet pas aujourd’hui d’avoir des réponses consensuelles aux questions suivantes : Comment les nanoparticules pénètrent-elles la couche cuticulaire des racines et des feuilles ? Où s’accumulent-elles ? Subissent-elles des biotransformations ? Quelle est la dynamique de ces processus de captation, de transport, d’accumulation et éventuellement de transformation des éléments métalliques ? Sur ce thème, nous avons d’abord choisi d’étudier la dynamique des processus en fonction des caractéristiques physico-chimiques de nanoparticules modèles. Pour ce faire, nous avons mis en place avec l’aide de Thierry Savy (Équipe MorphoDyn) et de la plateforme ImagoSeine une méthodologie de caractérisation in-situ par microscopie de fluorescence. Pour le moment, on s’intéresse à une plante modèle, l’Arabidopsis Thaliana, et à l’élément Argent qui est à la fois facile à suivre et très présent dans les produits manufacturés (textile, emballage) en raison de son caractère biocide. Il s’agit d’un nouveau sujet débuté en mars 2022 dans le cadre d’un stage de M2 et qui se poursuit aujourd’hui avec la thèse de Hongting DONG (bourse CSC). La thèse est co-dirigée par Florent Carn et Ahmed Mourchid (DOMM).
Séchage de systèmes colloïdaux
Nous nous sommes intéressés à l’organisation de colloïdes sur des surfaces solides par séchage de gouttes de suspensions colloïdales posées ou projetées par impression jet d’encre. On a particulièrement étudié l’influence des interactions colloïdes/substrat, la concentration en colloïdes dans la goutte et les conditions d’impression. Ce travail a été mené suite au financement d’un projet du labex SEAM dont j’étais partenaire (post-doc de Nathalie Bridonneau). Un résultat fort a été de former des lignes continues de nanoparticules organisées en monocouche de largeur micrométrique (longueur > cm) avec une imprimante à jet d’encre standard. Cela pourrait avoir un intérêt pour la formation par impression de motifs conducteurs destinés à l’électronique.
Assemblages de nanoparticules médiés par des polymères de natures et structures variées
Avec Ahmed Mourchid et Imane Boucenna (Equipe DOMM), nous avons étudié le confinement de nanoparticules dans les joints de grains d’un polycristal de micelles composées d’un copolymère tribloc thermosensible. Nous avons d’abord montré comment la taille des domaines cristallins est pilotée de façon non-linéaire par la concentration en particules. Nous avons ensuite montré que la loi empirique, dite de « Hall-Petch », décrivant la relation entre la contrainte seuil du régime élastique et la taille des domaines cristallins dans les alliages métalliques est également vérifiée dans le cas de notre système colloïdal mou.
Avec François Boué (Labo. LLB, CEA Saclay), nous avons mis en évidence une fenêtre expérimentale permettant de former des cristaux colloïdaux ioniques constitués de nanoparticules et de chaînes polyélectrolytes semi-flexibles de charge opposée. A notre connaissance ce type d’assemblage cristallin n’avait jamais été obtenu par couplage électrostatique de ce type de partenaires présentant des morphologies asymétriques (i.e. sphère dure (3D) et chaîne semi-flexible (1D)).
Nous avons également essayé d’obtenir des assemblages colloïdaux, composés de nanoparticules d’or, présentant des bandes d’absorption dans le proche infra-rouge (Thèse de Florent Voisin). Dans ce domaine, les tissus biologiques et le sang absorbent peu la lumière. Ainsi, en illuminant ces assemblages dispersés dans le corps on peut induire un échauffement local sans altérer les tissus environnant. Cet échauffement local peut être exploité en médecine pour le diagnostic/la thérapie. Avec Florence Gazeau et Jérome Gateau (Laboratoire d’Imagerie Biomédicale, INSERM), nous avons étudié ces deux potentialités in vitro. Plus récemment, on a aussi collaboré avec l’équipe d’Eric Caudron (hôpital Georges Pompidou) souhaitant utiliser nos assemblages comme substrat pour la spectroscopie Raman exaltée de surface. Dans ce cas, l’idée est que des soignants puissent doser régulièrement la concentration en molécules toxiques, telles que des anticancéreux, dans les biofluides (sang, salive, urine) pour adapter quotidiennement les doses de traitement à chaque patient. Un projet ANR dont je suis partenaire a été déposé par cette équipe au dernier AAP.
Auto-assemblages supramoléculaires et polymères dynamiques : structure et dynamique
Les auto-assemblages ou polymères supramoléculaires constituent une nouvelle classe de matériaux complexes adaptatifs. Leur formation est basée sur le contrôle des interactions non-covalentes faibles (liaisons Hydrogène, métalliques, -…) entre des briques moléculaires de structures bien choisies. Leur auto-association conduit à des édifices supramoléculaires dynamiques capables de se réorganiser, d’évoluer et de s’adapter lorsqu’ils sont soumis à des stimuli extérieurs. L’approche physique que nous développons permet de répondre à des questions de fond sur leur existence, leur formation, leur structure, leur dynamique, la relation entre leur structure et leurs propriétés macroscopiques, en particulier leur réponse à des stimuli extérieurs (champ magnétique ou électrique, variations de température ou d’intensité lumineuse, changement de pH…) et leur caractère éventuellement intelligent ou stimulable.
A l’inverse, les polymères covalents dynamiques, ou dynamères, sont une famille de polymères intelligents qui offre la possibilité unique d’obtenir des structures réversibles ne présentant que des liens covalents. On obtient des entités dynamiques qui ont la faculté de pouvoir modifier leur structure, leur masse, leur composition après polymérisation par assemblage ou désassemblage de leurs blocs élémentaires et donc leurs propriétés physiques (mécaniques, optiques…). Les propriétés dynamiques et structurales de ces nouveaux systèmes ont été étudiées à partir d’expériences de diffusion du rayonnement en fonction de diverses sollicitations extérieures (variation de pH, de concentration, de température, présence de molécules cibles ou affinité avec un substrat). Un cas proche de la biologie concerne les polypeptides synthétiques dynamiques (ou biodynamères) dont la formation et la composition dépendent des conditions environnementales. De tels biodynamères auto-assemblés sous forme de bâtons nanométriques pH-sensibles ont ainsi été utilisés comme vecteurs d’ARNm. Leurs performances de transfection remarquables dépendent de leurs structures – déterminées par diffusion neutronique – dans les micro-environnements endosomales. Un autre cas riche d’applications concerne les matériaux auto-cicatrisants formés de liens dynamiques covalents (exemple des lentilles s’auto-réparant par simple contact).
Intégration de nano-machines et moteurs moléculaires dans des matériaux polymères : de l’échelle nano- à l’échelle macroscopique
Les objectifs de cet axe de recherche consistent à coupler entre eux des machines et/ou des moteurs moléculaires de manière à intégrer leurs mouvements collectifs à des échelles de taille supérieures. Cette étude fait l’objet d’une collaboration avec l’équipe de N. Giuseppone à l’ICS Strasbourg. Deux systèmes génériques ont été développés pour étudier ces phénomènes de couplage :
Le premier exemple concerne des longues chaînes polymères incorporant par liaisons supramoléculaires des milliers de nano-machines (« nano-switchs » de types rotaxanes) capables de produire chacune des mouvements télescopiques linéaires d’un nanomètre. Sous l’influence du pH, leurs mouvements simultanés permettent à l’ensemble de la chaîne de se contracter ou s’étendre sur une dizaine de micromètres, selon les principes analogues à ceux utilisés par les tissus musculaires. La démonstration de l’amplification du mouvement par un facteur 10000 et les mesures précises des changements de phase en fonction du pH ont été obtenues par des expériences conjointes de diffusion des neutrons aux petits angles et de la lumière.
Le second exemple est fondé sur des moteurs moléculaires rotatifs capables de tourner de manière continue sous un flux lumineux constant. Notre travail portant sur l’intégration de ces moteurs en tant que nœuds de réticulation au sein de réseaux polymères et tirant profit de l’énergie lumineuse capable d’induire leur fonctionnement nous a permis d’aller plus loin et d’atteindre des contractions macroscopiques dans des gels et films.
Nous avons montré que la rotation des moteurs sous l’action de la lumière entraînait un enroulement des chaînes polymères pour produire de très fortes contractions du matériau à l’échelle du centimètre (cf figure ci-contre). Cette intégration sur 8 ordres de grandeur représente le premier exemple d’un système hors-équilibre artificiel impliquant le mouvement de millions de moteurs capable de produire un mouvement coordonné macroscopique. Là encore, c’est une étude combinée de diffusion du rayonnement et de rhéologie qui a dévoilé le mode de fonctionnement précis (quantitatif) de l’enroulement des chaînes dans le matériau. Nous avons relié ces résultats avec des approches théoriques pour extraire l’énergie mécanique apportée dans le système par les rotations du moteur et donc sa conversion à partir de l’énergie lumineuse. Les applications de ce type de système sont nombreuses et leur fonctionnement permet d’envisager de nouveaux matériaux pour le stockage ou la transduction d’énergie, se rapprochant ainsi un peu plus du fonctionnement intégratif des moteurs biologiques.
Mécanique des bicouches lipidiques
Nous avons également mené une recherche théorique sur la mécanique des membranes biologiques. Tout d’abord, j’ai mené une étude sur la dynamique de membranes biologiques fluides contenant des protéines transmembranaires (cf figure ci-contre), en collaboration avec A. Callan-Jones et J.-B. Fournier. Du point de vue dynamique, les membranes sont des systèmes de quatre phases fluides en contact : une paire de phases lipidiques bidimensionnelles (2D), et deux phases aqueuses tridimensionnelles (3D). Ces phases, séparées spatialement mais fortement couplées, présentent des comportements d’écoulements multiphasiques non triviaux. La dynamique des bicouches contenant des protéines transmembranaires à haute concentration est particulièrement complexe, du fait de la présence des protéines qui forment une cinquième phase qui entrecroise les deux phases lipidiques. Cette situation correspond à la situation réelle des membranes biologiques, dans lesquelles les effets d’encombrements macro- moléculaires sont très courants et sont connus pour modifier de façon radicale les interactions moléculaires en comparaison de celles observées dans des vésicules lipidiques artificielles. Dans cette étude qui combine physique statistique, élasticité des membranes, et hydrodynamique, nous avons mis en évidence et quantifié l’augmentation de la friction inter-monocouches due à la présence des protéines, ainsi que le caractère anormal du régime diffusif des protéines. Par ailleurs, en utilisant le formalisme de la physique statistique, nous avons montré que l’amplitude des ondulations thermiques d’une membrane dépendait explicitement de sa tension de cadre, variable conjuguée de l’aire du cadre sur lequel repose la membrane, et non de sa tension intrinsèque, conjuguée de son aire réelle. Ce résultat contredit l’expression obtenue par le traitement classique reposant sur la paramétrisation de Monge, et qui est l’expression reprise dans la majorité des publications sur le sujet. Nous avons montré que c’est une erreur dans l’énumération des différentes configurations de la membrane qui conduit à un résultat erroné avec le traitement classique. J’ai également étudié comment la compressibilité du fluide interne d’une vésicule modifiait le spectre de ses fluctuations de surface.
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