Systèmes granulaires, Erosion, Morphogenèse et Environnement

DSHE

Cet axe porte principalement sur les phénomènes d’auto-organisation et d’émergences de formes dans différents systèmes physiques, dans une approche discrète (particule granulaire, micro-nageur) ou continue (évolution d’une interface solide par érosion).

 

Milieux granulaires en impesanteur

L’objectif du projet Space Grains est d’étudier le comportement des milieux granulaires en l’absence de gravité, pour des regimes dilués à denses. Pour cela, un instrument européen ESA Vip-Gran a été développé pour des études réalisées en vols paraboliques à bord de l’Airbus Zero-G (voir les résultats scientifiques), puis au sein de la station spatiale internationale (ISS). Les expériences se concentrent sur les fluctuations de densité d’un ensemble de grains soumis à vibrations, la convection, la ségrégation, ainsi que les phénomènes de blocage, de rhéologie et de propagation d’ondes acoustiques dans les granulaires. L’instrument, totalement automatisé,  possède des cellules interchangeables selon l’objectif scientifique étudié. Il  intégrera mi-2025 le module européen Colombus de l’ISS pour 5 ans d’activités minimum incluant 5 missions de redescente ou de remontée de cellules depuis l’ISS.

Participant :
Eric Falcon

 

 

 

 

Légende : Transition d’un régime “gazeux” (à gauche) vers un régime d’amas (à droite) de grains (diamètre 1 mm), soumis à vibrations latérales en vols paraboliques, lorsque le nombre de grains augmente.

 

Auto-organisation de particules en présence d’interaction à distance

L’organisation de la matière résulte généralement de deux mécanismes concurrents : l’agitation thermique et les interactions à distance entre les molécules et les atomes dont le milieu est composé. Une grande partie de la physique de la matière condensée étudie la structure microscopique résultante pour en déduire les propriétés thermodynamiques et mécaniques. Nous avons proposé une expérience macroscopique analogique reproduisant cette compétition à l’échelle macroscopique. Nous utilisons un dispositif pour étudier la dynamique et la structure de particules granulaires en présence d’agitations mécaniques, d’interactions dipolaires magnétiques et du confinement dans une couche mince. A faible interaction et agitation, on obtient des phases de type gaz granulaires, tandis qu’à plus forte interaction des phases figées de type cristal ou analogue à un solide désordonné apparaissent. Nous avons montré que dans des les gaz granulaires vibrés, les fluctuations de vitesse s’organisent collectivement comme la propagation d’ondes mécaniques, ce qui constitue un analogue macroscopique des phonons de la matière condensée.

Participants :
Michael Berhanu, Eric Falcon

 

Légende : : À gauche, vue de dessus des billes (diamètre 1 mm) en interaction magnétique dipolaire, agitées mécaniquement. Les billes vibrent autour de leur position d’équilibre. À droite, spectre spatiotemporel des fluctuations de vitesse longitudinale. Les maximums du spectre définissent expérimentalement la relation de dispersion des ondes longitudinales

Formes et écoulement, motifs naturels et dynamique de l’érosion par dissolution

L’érosion chimique par dissolution de minéraux par les écoulements d’eau est un mécanisme important d’altération des roches. Si elles sont suffisamment solubles comme le sel, le gypse et le calcaire, la dissolution peut mener à la formation de réseau de grotte ou sculpter des plateaux en surface en exhibant des formes caractéristiques. Par des expériences modèles et des simulations numériques, nous  montrons que le transport hydrodynamique du soluté explique les formes et détermine la dynamique d’érosion. Cet écoulement peut être induit par la dissolution qui génère une stratification en densité à la surface du solide se dissolvant ou alors imposé. Il s’opère alors un couplage entre la topographie, l’écoulement et la dissolution qui fait naître des motifs. Nous avons entre autres montré sur des matériaux à dissolution rapide qu’un écoulement de ruissellement sur un substrat incliné donne spontanément naissance à des sillons dirigés selon le sens de la pente et dont la largeur croît au cours du temps. Ces expériences reproduisent la formation des cannelures observées sur les plateaux calcaires formées par l’action de la pluie sur des périodes de plusieurs siècles.

Participants :
Michael Berhanu, Sylvain Courrech du Pont

Thèse de Martin Chaigne

 

Légende: a) Motifs de dissolution observés sur la face inférieure d’un bloc de sel suspendu dans un bain au repos. Le bloc est incliné. Le sommet du bloc est en haut de l’image (Cohen et al. PRF 2020). b) Motifs de dissolution obtenus par ruissellement d’eau sur un bloc de sel (20 x 10 cm), incliné de 36° au bout d’une minute pour un débit de 0.79 L/min (Guerin et al. PRL 2020). L’écoulement allait du haut vers le bas. 

Gel de solides poreux et de granulaires : du laboratoire au pergélisol

Le pergélisol, souvent désigné par le terme anglais permafrost, couvre un cinquième de la surface émergée de la planète. Il est constitué d’une première couche de quelques mètres sous la surface, dite active, qui gèle en hiver et dégèle en été, située au dessus d’une couche de sol plus épaisse qui est constamment sous le point de congélation. La présence et le déplacement d’un front de solidification dans un sol peut entrainer des écoulements d’eau souterrains et des modifications de sa structure, et faire émerger des formes surprenantes en surface, dont quelques exemples sont illustrés sur la figure ci-dessous. Avec le réchauffement climatique et la fonte du pergélisol ce type de manifestation peut devenir de plus en plus fréquent, modifiant les paysages et donc leur écosystème et les infrastructures qui s’y trouvent.
Tous les comportements évoqués sont encore bien mal compris. En effet, les mécanismes physiques associés sont encore peu clairs et nous manquons de modèles prédictifs cohérents pour le transport de chaleur, la dynamique de changement de phase et les écoulements souterrains induits dans ces milieux complexes. On cherche donc à mieux appréhender la solidification dans les milieux poreux et les écoulements générés. Pour ce faire, nous proposons de réaliser une étude expérimentale de la dynamique de gel dans deux milieux poreux modèles imbibés d’eau : un milieu granulaire et une matrice solide creuse.

Participants:
Axel Huerre, Ambre Bouillant (MSC DOMM)

 

Légende: Gauche: Image aérienne du Pergelisol.  Droite: Schéma de congélation d’une assemblée de billes

 

Légende : un front de glace progresse dans un tas de grains humide (100 um de rayon) et laisse derrière lui des zones de vide (lignes noires verticales) après avoir déplacé les grains.

Naissance des dunes

Quand le vent souffle au-dessus d’une surface de sable, des dunes se forment dès lors que des grains sont transportés. Les dunes sont omniprésentes dans les déserts de sable et les expériences de laboratoire (dunes aquatiques) montrent qu’un lit de sable initialement plat se transforme en dunes propagatives lorsqu’il est cisaillé par un écoulement. Le lit de sable se déstabilise avec une longueur d’onde initiale bien définie. Ces observations indiquent que les dunes sont la manifestation d’une instabilité supercritique et convective. De plus, on ne trouve pas de dunes de longueur inférieure à 6 – 10 m sur terre. Ce seuil pour que l’instabilité se développe fait qu’il n’avait jamais été possible d’observer la naissance de dunes éoliennes, les tailles mises en jeu étant inaccessibles aux souffleries de laboratoire.

Nous avons contourné ce problème en lançant en 2013 un projet d’envergure dans le désert de Tengger au nord de la Chine : une expérience de “laboratoire” in situ à l’échelle du paysage. Dans ce lieu soumis à un régime de vent bidirectionnel, nous avons aplati et instrumenté deux parcelles de désert de 110 x 70 m et de 90 x 90 m pour y suivre et y mesurer durant près de quatre ans la naissance des dunes avec deux conditions aux limites différentes. La première parcelle a été laissée meuble, érodable. La seconde parcelle a été stabilisée par du gravier et isolée des flux extérieurs par des pièges en paille de riz. Nous y avons déposé deux tas (source) de sable qui ont été régulièrement nourris. Il a alors été possible de suivre conjointement, dans le même environnement, la croissance de dunes de digitation (sur la parcelle stabilisée) et de l’instabilité dunaire (sur la parcelle meuble) et d’en calculer les relations de dispersion (taux de croissance de l’instabilité). Ce projet est le fruit d’une collaboration internationale franco-chinoise.

Participant :
Sylvain Courrech du Pont

 

 

 

 

Légende: A. Photographie des dunes naissantes. B. Relation de dispersion de l’expérience in situ (taux de croissance en fonction du nombre d’onde).

Morphogénèse des réseaux réticulés (ou pas)

Nous avons étudié la morphogénèse des réseaux bouclés, observés dans de nombreux domaines (craquelure, delta de rivières, veines de feuilles, vaisseaux chez les animaux, rues des villes). Une première question porte sur la morphogénèse de ces différents réseaux, quels ont les mécanismes à l’œuvre pour
former les reconnections qui vont créer des boucles, et qui permettent de reproduire les détails des réseaux observés. Mais on observe aussi, finalement, dans tous ces exemples, une transition entre un mode de croissance en arbre, et un mode qui forme finalement des boucles (y compris pour les craquelures ou les rues
des villes). Cela rend le problème beaucoup plus général. En particulier, il semble qu’au cours de l’évolution on a toujours une transition entre une mode d’abords en arbre, qui évolue vers un mode en boucle. Si cela montre bien l’intérêt de réseaux bouclés par rapports à des réseaux en arbre, cela montre aussi que dans tous
ces exemples il y a des mécanismes possibles qui permettent, dans des conditions particulières, de passer d’un mode à l’autre.

Participants :
Stéphane Douady, Annemiek Cornelissen (MSC, Morphodyn)

Thèses de Sélène Jeammet et de Camille Le Scao.

 

 

Légende : Deux exemple de fougères, l’un en arbre l’autre réticulé, mais avec la même structure de base (arbre à 4 bifurcations)

 


Légende : Craquelures obtenues par séchage d’une couche solide.

Comportements collectifs de micro-organismes photosynthétiques

Ce sujet de recherche s’organise en deux projets. D’une part, nous étudions la bioconvection dans des suspensions de micro-algues motiles (Chlamydomonas) et phototactiques, forcées par éclairage inhomogène. Nous avons mis en évidence des régimes complexes en changeant la forme du faisceau lumineux et mesuré la réponse phototactique de la micro-algue en fonction de l’intensité lumineuse grâce à une réponse collective de ce forçage lumineux inhomogène.
D’autre part, nous étudions la croissance de cultures de cyanobactéries (influence du pH, gradient de température, …) et la conséquence sur la formation de mucilage par stress salin (observé dans l’environnement lors d’efflorescences saisonnières “blooms”), des blooms observés pour la première fois en laboratoire en petits volumes (~ 5 mL) en 2015 au laboratoire MSC.

Participants : Julien Dervaux, Philippe Brunet

Thèse d’ Aina Ramamonjy

Légende: Diagramme de phase des différentes instabilités de bioconvection en fonction du nombre de Rayleigh Ra et du rapport w/H entre largeur du faisceau lumineux et hauteur de la suspension. Les motifs de concentration (haute concentrations en rouge et faible concentrations en bleu). (d) Kymographe (en
coordonnée angulaire azimutale et avec le temps) de la concentration normalisée en algues, à 5 mm du centre du faisceau, montrant des structures dendritiques avec apparition et disparition constante de cellules de bioconvection. (e) Tracé Lin-log de la longueur d’onde normalisée λ/H avec Ra pour différents w.