Notre intestin est une pompe péristaltique : il transporte le bol alimentaire par les contractions des couches musculaires qui le tapissent tout du long, tel un serpent. On sait que les contractions intestinales se mettent en place tôt durant l’embryogénèse, vers la 5ème semaine de développement chez l’humain. Un des rôles importants de ces contractions est de promouvoir l’allongement de l’intestin, par un mécanisme mécano-biologique1,2. Cependant, il n’était pas clair si ces ondes jouent également un rôle dans la différentiation des tissus. L’étude menée par l’équipe de Nicolas Chevalier au laboratoire MSC apporte un éclairage déterminant sur le sujet.

Les ondes péristaltiques sont médiées par des flux d’ions calcium au travers des cellules musculaires, qui se propagent de proche en proche : on parle d’onde calcique. Afin de visualiser ces ondes, les chercheurs ont développé une lignée de souris qui fluoresce lors de l’augmentation du calcium dans les cellules souches du muscle intestinal, le mésenchyme. Ils ont constaté que les ondes calciques se mettent en place immédiatement suite à la différentiation de la première couche de muscle circulaire, se développant graduellement pour entraîner des contractions de plus en plus vives et fréquentes (Fig.1 et vidéo).

Figure 1. Les ondes calciques sont absentes à 11.5 jours de développement dans l’intestin de souris embryonnaire, et gagnent au fil du développement en intensité, en localisation et en amplitude du mouvement péristaltique associé.

Ondes calciques dans le colon embryonnaire, en accéléré (x30)

Ils ont découvert que le blocage de ces ondes calciques par un composé pharmacologique, la nifédipine, entrainait l’absence complète de différentiation de la seconde couche musculaire, le muscle longitudinal (Fig.2). Ce résultat provenait-il de l’absence des ondes électriques, ou des ondes de compression mécanique qui leur sont associées ?  Pour y répondre, les chercheurs ont étiré périodiquement des intestins en culture pour rétablir un péristaltisme artificiel, en présence de nifédipine. Mais ceci n’a pas permis de rétablir la différentiation, suggérant que le phénomène est de nature bioélectrique, médié par les canaux calcium. En plus de ces résultats, les chercheurs ont démontré que les cellules du mésenchyme empêchées de devenir du muscle par l’action de la nifédipine se tournaient vers un destin voisin : les cellules interstitielles de Cajal (Fig.2). Ces cellules ne sont pas contractiles, mais génèrent une dépolarisation électrique périodique qui imprime son rythme à l’intestin, on parle de cellules pacemakers. 

Figure 2. L’intestin traité en nifédipine perd la couche de muscle externe longitudinale (fil rouges verticaux), qui est remplacée par des cellules dites pacemakers, positives à l’anticorps KIT utilisé ici.

Ces résultats soulignent des étapes clés de la génèse de notre intestin, et apportent des éléments nouveaux sur la plasticité cellulaire muscle-pacemaker du mésenchyme, que l’on suspecte d’être impliquée dans de nombreuses pathologies : le diabète, le syndrôme de pseudo-obstruction intestinale chronique3 et certains types de cancer, les tumeur stromales du tube digestif.

Références :

Chevalier, N.R., Zig, L., Gomis, A. et al. Calcium wave dynamics in the embryonic mouse gut mesenchyme: impact on smooth muscle differentiation. Commun Biol 7, 1277 (2024). https://doi.org/10.1038/s42003-024-06976-y

Ces recherches ont été financées dans le cadre de l’ANR GASTROMOVE et du Labex « Who AM I ? »

  1. Khalipina, D., Kaga, Y., Dacher, N. & Chevalier, N. Smooth Muscle Contractility Causes the Gut to Grow Anisotropically. J. R. Soc. Interface 16, 20190484 (2019).
  2. Yang, Y. et al. Ciliary Hedgehog signaling patterns the digestive system to generate mechanical forces driving elongation. Nat. Commun. 2021 121 12, 1–14 (2021).
  3. Martire, D. et al. Phenotypic switch of smooth muscle cells in paediatric chronic intestinal pseudo-obstruction syndrome. J. Cell. Mol. Med. 25, 4028–4039 (2021).

Contact

Nicolas Chevalier, CR CNRS, nicolas.chevalier@u-paris.fr